Un voile à la mer

Suivant l’ondulation maritime en remontant pour regagner la surface, au gré des vagues hésitantes, d’avant en arrière un voile fut déposé sur le rivage. Des pieds s’enfoncèrent dans le sable courant le long de la plage. Une main plongea alors pour le ramasser. L’eau dégoulinait le long du bras de l’individu, un homme d’une trentaine d’année. Il fut surpris de lire comme un plan dessiné sur le tissu avec pour indication une croix qui évidence faite, désignait l’emplacement d’un fantasme, celui d’un trésor. Une carte trouvée dans la mer avec une croix inscrite avec insistance ne pouvait représenter dans l’imaginaire collectif que l’emplacement d’un trésor. Celui d’un pirate des caraïbes n’ayant eu d’autres choix que d’abandonner son butin dans une grotte souterraine submergée ponctuellement par la marée. C’était du moins l’histoire qu’il s’inventa.

Il enfila ses palmes et sa combinaison de plongée. Ainsi que de lourdes bouteilles d’oxygène qui dans l’eau sembleraient moins imposantes. Puis rabattit le masque posé sur son front sur ses yeux. L’aventure commença sans qu’il n’en avertisse qui que ce soit. Dans la mer le ciel semblait troublé, les rayons perçaient et traversaient l’épaisse nappe aquatique. Les poissons se hasardaient le long des récifs aux couleurs florales étonnantes, certains se faufilèrent pour échapper à leurs prédateurs dans des cavités étroites, rappelant l’incertitude de la réussite de cette aventure. Le danger pouvait se présenter à n’importe quel moment. Le temps ici semblait passer aux ralentis. Un autre monde ou la paresse en était une représentation parfaite  en contradiction avec celle rejetée, bannie à la surface productiviste. Un sentiment d’abandon de soi sans jugements portés sur autrui. Ici la seule revendication était celle de la vie. Une vie sauvage et dangereuse faite d’aventure complexe qui la rendait si passionnante. Il s’enfouit plus profondément dans les eaux sombres, une lampe frontale éclairait son chemin. Les animaux à sa portée se laissaient déranger par sa présence tandis qu’il se laissait couler jusqu’à rejoindre l’emplacement indiqué par la carte. Un bref coup d’œil sur le tissu pour se repérer que d’un coup de palme il plongea pour rejoindre une ruine, celle d’un bateau échoué. Une frégate allongée contre de lourds rochers. Elle était si imposante qu’une seule journée ne suffisait à la visiter entièrement. Ses mains s’agrippèrent et se hissèrent le long des rambardes recouvertes d’algues vertes jusqu’à entrer par la porte située sur le pont du bateau. Dans le noir, il longea ce qui fut autrefois un couloir arpenté de long en large par des marins et des touristes en croisière curieux de découvrir le Nouveau Monde. Une à une, en jetant un coup d’œil à sa jauge d’oxygène restante, il pénétra dans les pièces auparavant privés. Une forme de voyeurisme s’empara de lui. Il voulait en découvrir les moindres recoins, les moindres détails. Il s’appropria ainsi chacune de ces découvertes. Le bois flottant, les lourdes armoires se trouvaient au plafond ainsi que tout ce qui était conçu de bois. Seuls les lits conçus de métal avaient conservé leur place initiale. Ils étaient coincés le long du mur et du sol se confondant dans l’angle. Le bateau couché, rien ici n’avait pu conserver l’origine même de son emplacement soigné. Un coup d’œil à nouveau sur la jauge de vie, il lui fallait remonter à la surface avant que le manque d’oxygène ne finisse par lui ôter ce fascinant intérêt. Cette découverte, il était probablement le premier, nul ne se hasardait si loin et si profondément. Lui-même ne l’aurait fait sans être guidé par la carte. La curiosité trop forte il s’autorisa à visiter une autre pièce en nageant le long d’un escalier mondain au centre de la salle des convives, là ou des soirées étaient données pendant ces longues croisières.
Il arriva dans un hall, avec le choix quant au couloir à prendre. Celui de gauche ou de droite, étant situé au centre, en avant ou en arrière. Bientôt il atteindrait le niveau critique ne lui laissant d’autres choix que celui de rebrousser chemin. Il ne le savait pas encore mais poursuivre son périple allait le confronter à la chose la plus merveilleuse et dangereuse à la fois. Sa main actionna le levier de la poignée d’une porte. Il poussa un peu contre la résistance de l’eau et entra dans la pièce. Celle-ci était étonnamment couverte des rayons de la lumière du soleil. Après avoir percé le plafond en ruine effondré, ceux-ci recouvraient religieusement la pièce, à la manière d’un halo lumineux au-dessus du corps endormi d’une femme. Il resta là figé par la peur due à l’isolement dans ce lieu aux allures des plus mystique. Abasourdis, devant la nudité apparente de ce corps féminin. En d’autres situations, il ne se serait pas posé la question de savoir si oui ou non elle était encore en vie. L’était-elle encore ? Le temps n’avait pas fait son œuvre sur elle et l’avait au contraire conservé tel qu’il était à l’origine. La peau douce, les cheveux longs ondulants tentant de rejoindre la surface. Les bras le long de son corps flottaient encore légèrement signe qu’elle venait probablement de tout juste joindre la mort. Il se posa encore la question et pour s’en assurer une fois pour toutes nagea au-dessus d’elle. Aucune boursouflure sur son visage. Les yeux fermés elle donnait vraiment l’impression d’être dans un état de sommeil profond. Il resta au-dessus d’elle un moment à la contempler comme on contemple la beauté. Elle devait avoir aux alentours des trente ans. Pas une ride, mais un visage empreint d’une certaine maturité. Il se surprit à vouloir la caresser à la manière des créatures aquatiques qu’il avait pris habitude d’apprivoiser. Le halo de lumière tout autour d’eux, de son index, le fit glisser contre sa joue. Sa paume effleura son bras droit et remonta le long de son épaule. Un coup d’œil à son niveau d’oxygène. Il lui fallait impérativement rejoindre la surface sans quoi… C’est alors qu’il sentit une présence froide et un regard posé sur lui. Il détourna ses yeux de sa jauge de vie, la sienne allait prendre une tournure toute nouvelle dès l’instant qu’il échangea avec cette créature effrayante un premier regard. Son rythme cardiaque se chargea brutalement. Il s’agita comme un spasme, celui d’une peur nouvelle. Cartésien, jamais il n’aurait cru ressentir cela un jour à savoir une main froide entrelacer ses doigts dans les siens. Hors de question de rester ici une seconde de plus, tout lui commanda en lui de fuir le danger. Comme ses poissons le comprenant trop tard, elle l’agrippa et le tira à elle pour le prendre dans ses bras tel un amant. Ses lèvres se déposèrent sur les siennes. L’appel de la vie à la surface l’effraya d’autant plus que le temps s’écoulant comme dans un sablier, les derniers grains de sable étaient tombés. La mort lente et éternelle l’attendait à son tour de l’autre côté de la porte qu’il tentait de rejoindre en donnant de grands coups de palmes. Il l’aurait frappé s’il en avait été capable, ce ne fut pas le cas. Les quelques minutes d’oxygènes restantes allaient elles aussi s’épuiser rapidement. La créature de sa main tenta de lui ôter ses bouteilles d’oxygène. Mais il se démena tant et si bien qu’elle n’eut d’autre choix que de tirer un coup sec sur les câbles de redistribution de l’air. L’aiguille déjà dans le rouge rejoignit alors le niveau le plus bas. Les bouteilles vides. Seul l’oxygène contenu dans ses poumons allait le maintenir en vie encore un bref instant. Pris définitivement au piège elle le relâcha. Dans une veine tentative de survie il nagea vers la porte et tenta de la tirer vers lui pour l’ouvrir. La porte ouverte, il s’arrêta en se tenant la gorge comme pour comme pour empêcher l’eau d’entrer dans ses poumons. Dans son désarroi il se retourna, quelque chose détourna son attention de sa propre mort en croisant le regard de cette sirène. Il suffoquait. Ses yeux révulsés, la peur morbide dans son regard, il mourrait devant elle qui d’un air placide en nageait autour de lui. Elle ne semblait pas agressive, jusqu’au moment où elle montrerait ses crocs pour le dévorer. Il n’en était rien. Encore entre la vie et la mort, il se dandinait, souffrant de sentir l’eau envahir chacune des zones de son corps. Cette souffrance semblait prendre son temps. À moins que ce ne soit lui qui perdait ses repères temporels.

– Respire ! entendit-il ?

Une dernière bulle s’échappa de son organisme par sa bouche.

– Respire ! Respire comme s’il s’agissait de ton premier souffle.

Les yeux exorbités il perdrait conscience et mourrait.

– La première inspiration est difficile. Tant que ton corps ne lâchera pas prise et continuera de s’agripper à la vie, tu mourras douloureusement. Ouvre les yeux.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout ce en quoi il croyait et tout ce en quoi il ne croyait plus changea sa perception de la vie dès lors que l’entendant il lui obéit. Ce fut une sensation étrange que de sentir l’eau au travers des ports mêmes de sa peau, dans son cerveau, dans ses veines et ses poumons. Il observa la jeune femme et perçut dans son regard et le pincement de ses lèvres un rictus, comme un sourire.

– Qui es-tu ? tenta-t-il d’articuler dans l’eau. Seulement aucun son compréhensible n’en sortit.

– Communique par la pensée. entendit-il.

Au point où on en était, toutes ses croyances balayées, il tenta de communiquer par télépathie.

– Qui es-tu ?

– Je ne suis rien que tu puisses comprendre. Juste une entité perdue qui n’a que trop longtemps connu la solitude.

– Qu’est-ce que tu m’as fait ?

– Rien que tu ne te sois fait toi-même. Ta jauge de vie était défectueuse. Jamais tu n’aurais pu rejoindre la surface. Alors j’ai agi au mieux en te donnant une seconde chance.

Il ne savait s’il devait la croire, qu’importait. Il se sentit infiniment redevable. Elle l’avait sauvé même si le calvaire enduré pour cela était similaire à celui d’une longue et éprouvante torture. Mais cela apparaissait bien secondaire maintenant qu’il pouvait respirer sous l’eau. Passionné de plongée, ce rêve digne d’un conte de fée, jamais il ne souhaiterait se réveiller.

– Il y a cependant un effet secondaire majeur que je dois te révéler. Elle entendait ses pensées, ne sachant où se trouvait la frontière entre télépathie et simple pensée. Le regard de l’entité se fit grave.

– Jamais plus tu ne pourras rejoindre la surface. L’air pour toi est à présent irrespirable. Te risquer à une telle folie serait similaire à celle d’un poisson s’échouant sur la terre.

Le choc fut important, mais pas autant que celui d’avoir réchappé à la mort. Cette nouvelle il mettrait du temps à l’accepter. Ce mode de vie nouveau allait cependant lui offrir une nouvelle aventure encore plus exceptionnelle que sa vie d’esclave sur terre. Ici dans l’immensité des océans il allait connaître le sens le plus pur du terme « liberté ».

Fin

 

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